Le jour J.

Publié le : 21 février 20175 mins de lecture

Elle regardait la scène de l’extérieur.

C’était bien elle qu’elle voyait assise là, l’air absente, sur une chaise dans le hall un peu froid, de cette couleur saumonée qui semblait réservée aux hôpitaux. Ca devait être écrit dans les cahiers des charges de construction: saumon ou verdâtre les murs.

Elle se repassait le film de ces dernières semaines.

Les premiers signes, le test, la confirmation, l’annonce à son homme. Pas un mec d’un soir, non, le sien, à elle, depuis longtemps. Oui, elle était bien enceinte. Comment ça avait pu arriver ? Ils faisaient pourtant attention. Foutus calculs !

Ils avaient bien réfléchi, ensemble. Il n’osait rien imposer, Elle ne savait pas quoi faire.

Le temps passait, il fallait prendre une décision, pour ne pas laisser passer les délais, mais surtout parce que toutes ces tergiversations étaient intenables et qu’ils étaient épuisés.

Non, ce n’était pas le moment. Pas envisageable. Les contraintes matérielles, professionnelles, et puis, ils n’étaient pas prêts, pas maintenant, pas par accident. Bien sûr qu’ils auraient des enfants. Plus tard. C’était certain.

Alors les étapes s’étaient enchainées, le gyneco, la PMI, le RDV à la clinique (une maternité, ironique …).

Et le matin était arrivé. Il ne pouvait pas venir. Impossible, un truc de boulot, capital. Elle s’était levée, lavée, habillée, avait pris sa voiture, s’était garée, s’était annoncée à l’accueil, et s’était assise, là. Le médecin était en retard.

Elle n’avait cessé de douter pendant des jours et des jours et des jours. De toute façon, Elle n’avait jamais su trancher, sur rien, c’était sa nature, l’indécision. Lui ça le rendait fou. Même s’il n’y voyait pas plus clair. Lui non plus ne savait pas et Elle se reposait sur Lui, comme d’habitude. Ce qui l’exaspérait, c’était de revenir sans cesse sur le sujet, encore et encore. A quoi sert de rabâcher en boucle les mêmes questions, sans tenir compte des réponses de la veille ou d’il y a une heure? Alors ils ont arrêté de tourner et retourner le problème. La décision était prise, et ils étaient d’accord. Il n’était plus question d’y penser encore, mais de s’en tenir à leur choix. Il coupait court d’un regard ou d’un geste tendre lorsqu’Il sentait de nouveau venir ses “si”. Ils avaient changé de sujet. Ce n’était plus le temps des angoisses. Tout avait été pesé, soupesé, discuté. Et c’était mieux comme ça. Pour des tas de raisons.

Elle était là pour ça. Elle attendait, c’est tout.

Regardant sans voir les gens qui rentraient et sortaient. Notant au passage la frise, verte, sur le mur du couloir qui partait à droite. Percevant dans un voile un mélange de bribes de conversations, de sonneries incessantes du téléphone, de cliquetis de sabots des infirmières sur le lino fatigué, et d’odeur diffuse de détergeant et de soupe, étonnant reflux de bon matin.

Et là, seule sur sa chaise en plastique, elle a su. Une évidence. Une certitude dissipant le brouillard. Plus de confusion. Elle ne pouvait pas, tout simplement. Pas un revirement de plus, pas une question de bien ou de mal, pas de peur, ni d’envie. Non, rien de tout cela. Une réalité crue, un fait, qui s’imposait.

Elle n’était pas seule sur sa chaise d’hôpital.

Elle s’est levée, est retournée devant l’accueil.
–         Excusez-moi ?
–         Oui ? Encore un peu de patience, il ne va pas tarder.
–         Non, dites lui juste que je suis partie.

Elle est sortie. Il faisait beau. Elle l’a appelé.
–         C’est moi. Oui, ça va. Il faut qu’on trouve un prénom.

Il a regardé le téléphone. Médusé, paniqué, et heureux.

De MILF à cougar, il n’y a qu’un canapé.
Juste un baiser.

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