A contre-courant.

Plus de soulèvement ni de grève, plus de blocus dans les fumées de merguez. L’espèce humaine avait muté. Il s’était toujours demandé d’où avait pu venir chez certains cette faculté à se dresser contre les murs en criant assez fort pour qu’ils s’effritent. Il savait que sa résignation à Lui était innée, une forme de gène de l’immobilisme et de l’acceptation. Et puis le monde entier avait été touché, contaminé. Longtemps marginal, Il faisait en fait partie des précurseurs de la transformation. Les protestataires, les mécontents, les rebelles, les opposants, les engagés, les insurgés, tous s’étaient endormis, éteints. Le monde avançait d’une seule voix, monocorde, glissant sans bruit vers un avenir accepté par principe. Les colères, les doutes et les envies s’étaient dissous dans le grand magma fusionnel de la pensée collective. Tout s’était passé si vite, deux générations à peine. Il n’y avait eu ni gagnant ni perdant, aucun peuple, aucun pouvoir, aucune doctrine n’avait imposé sa vision ou son dogme, toute revendication avait cessé et chacun, individuellement, avait convergé vers l’autre. Réaction de l’humanité avant l’autodestruction, instinct de survie? Nul ne le savait. La vie était simplement devenue fonctionnelle, les morts naturelles, et la planète se reposait dans le ronronnement du moteur tranquille de l’unanimité. Sans doute, sans doute, au prix de concessions, mais personne n’avait eu cette impression amère d’abandonner une parcelle de son but, chaque pas avait été guidé par une conscience animale, primale, de celle qui ramène les saumons à leur lieu de conception. Il se souvenait qu’ « avant », du temps des affrontements, les intérêts particuliers, les égos, les désirs individuels, carburants du mouvement, construisaient les rêves mais abimaient les projets, écornaient les utopies. La vague de la concordance avait emporté ces travers, les ambitions, les jalousies, les haines, les peurs, les peines et les douleurs. Bien sûr, l’amour et autre sucrerie avaient aussi été sacrifiés à l’autel de l’harmonie. Le soi, devenu partie du tout, ne pouvait être aimable. Les doigts d’une main ne sont pas unis par la tendresse, un doigt ne cherche pas à posséder ou à dominer, ils savent quoi faire et sont utiles parce qu’ensemble. L’autre, celui que l’on craint et que l’on adore, celui par lequel on s’identifie, n’était plus. La lutte était finie. Monsieur Thibault ? Monsieur Thibault ? Bernard se réveille en sursaut, groggy, presque fiévreux. La maquilleuse lui sourit. Plus que dix minutes avant le JT. Il relit son mémo, un peu KO. Drôle de rêve. La fatigue sûrement. Il n’a pas beaucoup dormi ces derniers temps. Dix minutes. Se justifier. Encore. Il sent que la force vient à manquer. Vivement la retraite !
Pourquoi écrire une biographie personnelle ?
La Soka Gakkai internationale

Plan du site