“Je m’appelle Jules, j’ai 20 ans et je vais mourir” : Part. 3

Suite de “Je m’appelle Jules, j’ai 20 ans et je vais mourir”.

[Ce matin encore en me rendant chez le médecin, j'avais exactement la même attitude. Mais maintenant, je veux m'ouvrir. Parler avec tous ces gens. Je tente ma chance avec mon voisin.]

“. Quel sale temps encore… Originalité zéro, banalité absolue. Tout va bien . Pardon ? Ah oui, il fait toujours mauvais ici. . En plus, j’ai encore oublié mon parapluie. . C’est dommage. . Oui, je vais essayer de pas être trop mouillé ! . Oui. Excusez-moi je descends là. . Ah d’accord, bonne fin de journée !

Je l’ai vu se déplacer. Et s’installer à une place libre un peu plus loin. Première discussion avec un inconnu, premier échec. Une vieille dame me regarde bizarrement. Elle tient fermement son parapluie et le range dans son sac. Dès que je jette un oeil vers elle, immédiatement elle détourne le regard. Elle a peur que je lui braque son parapluie ?! Bref, je vais tenter ma chance avec mon nouveau voisin qui lit avec grand intérêt un guide du Vietnam. “J’ai toujours rêvé de partir au Vietnam ! Bon a priori, je ne sais débuter une conversation que par une banalité. . Moi aussi et le rêve va bientôt se réaliser ! . Vous partez combien de temps, si ce n’est pas trop indiscret ? . Deux semaines, oui c’est un peu juste, mais on va en profiter au maximum ! . Vous allez où exactement ? . On est en train de préparer notre parcours, on ne part que dans trois mois. Mais on ne va pas rester à Ho Chi Minh, la capitale. On veut découvrir la campagne également, aller chez les gens. . Ca va être sympa ! . J’espère !

Arrive l’arrêt auquel je dois descendre. Je salue mon sympathique voisin et descend, ravi d’avoir noué un semblant de lien, mais frustré par la superficialité des propos échangés. Pas vraiment ce que je recherche, mais bon, c’est un début. Une première prise de contact avec les inconnus, ces gens que je cotoye chaque jour sans m’intéresser à eux. Il est grand temps que ça change. Je m’étonne moi-même de ma réaction face à l’annonce de ma maladie. Jamais je n’aurais cru pouvoir réagir de la sorte dans une telle situation. Oui, je vais mourir dans un an, au mieux. Tout peut s’arrêter d’un instant à l’autre. Comme avant au fond. Nous sommes tous dans ce cas. Nous somme tous en train de mourir. Nous le savons, mais nous ne le réalisons pas vraiment. Moi, si, désormais. Je n’ai plus de temps à perdre. Il me reste un an sur Terre. Je pourrais le voir comme un malheur, mais en fait je le vois comme un cadeau. Une chance de réaliser mes rêves. Mais lesquels ?

Ce soir, je dois dîner avec mes parents. Je pourrais annuler, mais non, j’ai envie de les voir. Peut-être une dernière fois avant de quitter la ville. Car oui, c’est décidé pour de bon, je vais partir vers d’autres horizons, même si je ne sais pas encore lesquels. Je verrai bien sur le moment. J’arrive devant la maison qui m’a vu grandir, je sonne, ma mère vient m’ouvrir. “Tu as encore oublié tes clés mon chéri ! . Oui, désolé. . Quand on n’a pas de tête… . On a une maman pour ouvrir la porte. . Je ne serai pas toujours là pour voler à ton secours ! . C’est pour ça que j’en profite !” Profiter. Ce mot hante mon esprit depuis l’annonce fatidique. Reste le plus difficile : la mise en pratique. Mon père, assis dans son fauteuil une bière à la main en train de regarder un enième match de foot, a-t-il vraiment profiter de sa vie ? Ne l’a-t-il pas plutôt subi ? Est-il vraiment heureux ? Se pose-t-il même seulement la question ? Personnellement, je me pose beaucoup de questions. Ca ne veut pas dire que je trouve les réponses. On passe à table. “Tes examens approchent, tu travailles ? . Oui, papa. . Tu ne sors pas trop j’espère. . J’arrive à concilier les deux tu sais.” Ma mère sent que la discussion ne mènera à rien, comme d’habitude. Elle change de sujet. “Comment va Laura ? Ca fait longtemps qu’on ne l’a pas vue ! . Bien. Tu as des nouvelles de Léa ? . Ta soeur et ses histoires… Je ne sais pas dans quoi elle a mis les pieds encore, mais son nouveau job parait louche. . Louche ? . Oui, son patron me parait bizarre. Il lui crie dessus quand ca lui prend, et en même temps il lui fait des avances… . Oula. . Oui, comme tu dis. Il faut qu’elle se méfie.

Voilà, je vous épargne le reste de la soirée. A vrai dire, imaginez-vous chez vos parents, et ce sera la même chose. Sauf peut-être cette dernière discussion avec ma mère. “Maman, tu es heureuse ? . Pourquoi tu me poses cette question ?! . Comme ça, je ne te l’ai jamais demandé. . Oui bien sûr que je suis heureuse… Enfin, je veux dire tout va bien, je n’ai pas à me plaindre. . Mais tu l’imaginais comme ça ta vie quand tu avais mon âge ? . Mon chéri, notre vie ne devient jamais celle que l’on a imaginé plus jeune. Il faut faire avec la réalité. Moi, je rêvais de tenir un petit restaurant dans le sud… . Pourquoi tu ne le fais pas, maintenant que nous ne sommes plus à la maison Léa et moi ? . Oh, c’est du passé tout ça. Désormais, c’est trop compliqué. Maintenant, nous avons notre vie ici. Nos amis, nos habitudes, notre quotidien. Pourquoi quitter tout ça ? . Pour vivre tes rêves ! . Jules, tu es encore si naïf ! La vie t’apprendra que la jeunesse se transforme en douce nostalgie et les rêves en fantasmes inassouvis. . Mais moi, je ne veux pas abandonner mes rêves. . Ce sont eux qui t’abandonneront chéri. Mais tu seras tout de même heureux“.

Ma mère semble résignée. Je sens de l’amertume dans son sourire, et cela m’attriste. Moi, je n’ai pas d’avenir, je n’ai plus que le présent. Pas le temps pour l’amertume ou la nostalgie. Il faut que je profite. Bordel encore ce mot.

Le soleil se lève. Je n’ai pas dormi de la nuit. Ce matin débute le premier jour du reste de ma vie. Toutes les opportunités, ou presque, s’ouvrent à moi. Première chose à faire : regrouper quelques affaires et les mettre dans un sac. Puis quitter cet appartement, cette ville. Direction la gare. Je vais réaliser l’un de mes rêves de gosse : sauter dans le premier train venu sans connaître sa direction. Pour une fois ce qui compte, ce n’est pas vraiment la destination, mais le voyage. Quai 14, l’alarme sonne. Je saute dans le premier wagon. Je trouve une place libre et m’installe. Le train démarre. Je ne sais pas où il va. Je ne veux pas le découvrir pour le moment, j’attendrais le terminus pour cela. La sinistre voix-off du train brise le mystère : “Vous avez pris place dans le train N°1980 en direction de Strasbourg”. Merci, je ne savais pas. L’Alsace donc. Pas très exotique, mais ça me convient pour une première étape. Le plus grand des voyages commence par quitter son canapé.

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