“Madame, Monsieur, bonsoir. Au sommaire de ce journal, la finale de la Coupe de France entre Monaco et le PSG dans quelques minutes…” Génial. Du foot en premier sujet… Faut dire qu’une finale de Coupe de France, c’est sacrément important : ce soir, deux équipes habituées à perdre tout au long de l’année vont s’affronter pour enfin gagner quelque chose. Tout un programme. Elle n’avait jamais été intéressée par le football, pas plus que son mari Christophe. Il y avait bien eu quelques matches vibrants et rassembleurs de l’équipe de France à l’époque où celle-ci marquait encore des buts avec les pieds mais, en réalité, ce sport ne lui faisait ni chaud ni froid. Sauf ce soir. Ce n’était vraiment pas le moment. On en vient aux traditionnels défilés du 1er mai en France. A Paris comme en province, on retiendra une mobilisation largement inférieure à celle de l’an passé…” C’était l’information qu’elle attendait. Deux années en arrière, elle aurait regardé ces images de défilés d’un œil distrait, peut-être même dubitatif devant ce folklore dont elle se sentait si lointaine. Mais les paramètres étaient bien différents aujourd’hui. La crise, la fameuse, était passé par là. Certains ont la chance de ne la connaître que par médias interposés, d’autres la voient entrer en collision avec leur existence, et plus rien n’est pareil. Pour Isa, cet accident s’était produit un jour de novembre 2008 quand elle avait reçu sa lettre de licenciement. L’activité de l’agence de communication pour laquelle elle travaillait alors depuis plus de cinq ans avait certes connu un temps de ralentissement, mais rien de véritablement inquiétant en comparaison de situations alarmantes rencontrées dans de nombreuses entreprises et racontées quotidiennement par la presse. Bref, elle avait compris qu’on s’était débarrassé d’elle et de quelques uns de ses collègues sous un prétexte peut-être fallacieux, tout du moins pratique. Elle avait décidé de ne pas se remettre à travailler immédiatement, histoire d’être plus disponible pour les enfants et de se reposer pendant la période des fêtes de fins d’années. Puis les mois sont passés sans qu’elle ne parvienne à décrocher un seul entretien, elle calculait la moindre des dépenses familiales, sentait l’usure gagner son mental et les relations se tendre avec Christophe. Elle avait l’impression de lire de l’incompréhension et du reproche dans ses yeux. Peut-être se trompait-elle – après tout ils n’en avaient jamais vraiment parlé – mais cette nouvelle situation avait installé un malaise. Alors, quand son ex-collègue lui avait proposé de l’accompagner lors des manifestations du 1er mai 2009, elle avait accepté. Après tout, pourquoi pas. D’une certaine manière, elle serait ainsi active. Elle avait fini par décrocher un poste de responsable communication quatre mois plus tard. Quatre longs mois au bout desquels elle avait vu le bout du tunnel, cette lumière qui continue de rester inaccessible à beaucoup. Mais en entendant les journalistes commenter la plus faible mobilisation de cette année, elle ressent un pincement au cœur. La situation économique et sociale n’est pourtant pas meilleure aujourd’hui, certains de ses amis ou ex-collègues sont au chômage… Elle ne se sent pas fautive de ne pas avoir pris part aux cortèges car elle sait que ce n’est pas sa culture. Mais maintenant qu’elle les connaît de l’intérieur, Isa espère simplement que la résignation ne les a pas gagnés. “Retournons à présent au Stade de France…”