Il repartait dans la nuit systématiquement.

Elle en a fait son prisonnier, plongé dans une insondable dimension, rendant impossible ses habituels « retours » illustrés de chairs pendantes et montagnes d’ossements. Il a exploré les gouffres de la nuit, il a qualifié chaque étoile d’un adjectif poussiéreux, exhumé après des siècles d’oubli. Le poète s’est éloigné, perdu un peu aussi sans doute.

Il s’est « jeté dans la nuit comme on saute dans une rivière gelée, à son corps défendant mais le cœur vaillant ».

Il est reparti encore, « vague parmi les vagues, pour prendre ,une fois n’est pas coutume, la nuit mélancolique à son propre piège ».

Il est reparti « plus brulant que la glace qu’on pose sur deux lèvres, comme ce froid baiser que fait la nuit au jour pour en venir à bout ».

Il est reparti « sombre et hiératique, déchirant du bout de l’ongle le voile terriblement noir et pourtant si fragile de la nuit assassine ».

Et c’est elle qui a gagné. Cette nuit qu’il avait vaincue pourtant tant de fois en duel. Chevauchant son fier destrier (car comme il se plaisait à dire « les super-héros ne prennent pas le métro »), il la fendait régulièrement d’un éclair de dynamo et elle retombait, telle une étole abîmée, sur le sol trempé.

Son vélo ne bat plus le pavé ni les méchants. Il est sans doute abandonné négligemment dans un coin de la retraite de son propriétaire, accoudé à une haie comme  un soulard l’est au bar. Sa peinture s’écaille, les herbes commencent à l’emprisonner.

Le héros lui se ressource au vert, tel Superman dans la grange paternelle. Tous les super-héros ont leur cachette, leur nid isolé, loin du monde où ils se renforcent avant les prochains combats. C’est sans doute ce qu’il fait. Se préparer avant la bataille à venir.

Car comme il est parti, il sera de retour.