463, 464, 465, 466 ! Ouf, enfin fini de poster ces tweets et par là de remplir ses obligations judiciaires. Ca n’avait pas été une mince affaire. Parce qu’ils sont bien gentils les juges, mais ils auraient quand même pu s’enquérir du mode de fonctionnement de Twitter avant de condamner! Comme le service de microbloging refuse que l’on se répète bêtement, il avait fallu inventer 466 manières d’envoyer le même message, imposé. Un espace par ci, un point par là, une virgule qui se balade. Pour le reste, les 500 euros de frais irrépétibles, la grande collecte des Internets avait été rudement efficace. Largement de quoi faire un chouette apéro en prime pour fêter ça. Au final, c’était une affaire qui semblait réglée. Enfin sur ce volet. Dans ce climat de tension qui allait crescendo depuis des mois, sur fond de campagne électorale tantôt stérile, tantôt nauséabonde, toujours stressante, jamais enthousiasmante, mais au combien clivante, la condamnation, désormais connue de tous comme la jurisprudence « #466 », avait fini d’électriser la toile. L’insulte du 22 avril, la cause, reconnue et crue, était-elle justifiée, l’action est-elle légitime, la juridisation était-elle opportune, la décision était-elle juste … ? Les débats avaient tournés courts. Les esprits échauffés, engoncés dans les ornières électoralistes, s’étaient engouffrés dans le grand bad buzz, la liberté en étendard, l’oppression en  ligne de mire. Bizarre en y repensant que le combat se soit cristallisé sur ce qui était d’abord apparu comme une  anecdote, mais depuis quand un symbole répond-il à une logique… Dans son sillage, il avait amalgamé toutes les luttes, toutes les peurs, drainant les antagonismes et érigeant des murs. Twitter s’était, en quelques semaines, transformé en déversoir à injures pour militants de la cause, défouloir de toutes les frustrations. « Enculé ! » ne prenait que 7 caractères, il en restait encore 133 autres pour exprimer tout le bien que l’on pensait de l’autre, et les deux cotés ne manquaient décidément pas d’imagination. La communauté d’origine s’était délitée et ceux qui se réunissaient jadis autour du partage, de la recherche d’information, de morts temporaires, de mêmes infinis, de chaines solidaires, de LiveTweets de légende, de générateur d’IRL et de révolutions à défendre, s’entre-déchiraient, ou fuyaient. Twitter, réseau d’échange, implosait en France, et de social il ne restait que des bribes, gazouillis de plus en plus inaudibles. 466 gouttes d’eau avaient fait déborder les TimeLines. Si les plus mesurés avaient bien tenté de calmer les esprits et de linker quelques Tumblr de loltoshop pour détendre l’atmosphère, ils s’étaient épuisés et avaient rapidement cessé d’interférer dans les clashs devenus quotidiens, violents et binaires. On aurait pu croire que la régulation naturelle aurait imposé sa loi et que les partisans toujours plus énervés se seraient contenter de l’unfollow pacifique, voir du blocage, fut-il intempestif. Si je ne t’entends plus, comment te haïr ? Mais la tendance était au radicalisme et le chantage était devenu la règle. Si tu suis @untel, c’est que tu cautionnes, et je te méprise. Choisis ton camp camarade! La neutralité n’avait plus cours, les invectives étranglaient toute forme d’esprit critique ou de semblant de réflexion. Et les protagonistes d’ajouter pour leurs adversaires des « report  as spam » massifs. Les plaintes se multipliaient, les masques tombaient, et les derniers addicts, désabusés, abandonnaient, sonnés par les coups de cette nouvelle guerre de tranchée numérique. Au début de l’été 2012, Twitter s’était retrouvé fracturé, complètement dépecé. La haine avait gagné, l’oiseau crevait. A San Francisco, dépassés par les évènements, incapables de juguler l’hémorragie, effrayés par le risque de contamination européenne, après une dernière réunion de crise avec nos autorités, on venait de décider de sceller le sort du site en local, et on entérinait la censure définitive de tout tweet venant de notre République après un dernier « [RIP] #Twitter #France (2006-2012), please RT. » Des Anonymous enregistraient le même jour la toute première vidéo de l’appel au soulèvement, Opération 466. La suite, malheureusement, vous la connaissez…