La dernière (non) lettre du condamné

C’est la dernière fois que je me sers d’un stylo, la dernière fois que j’écris. C’est drôle, je pensais que ça me ferait quelque chose tous ces derniers gestes. Mais rien. La dernière balade s’était arrêtée sur quatre murs. Le dernier repas n’avait pas dégagé la moindre saveur. Et la dernière parole, adressée à un gardien, avait semblé plus proche d’un grognement. C’est comme ça, je ne ressens plus rien. J’en suis incapable depuis que j’ai été ramené ici après m’être octroyé un sursis de vie. Quelques semaines à l’extérieur, sans barrière ni plafond, sans chemin prédéfini, mes pas n’obéissant qu’à mes seuls ordres. Traqué mais libre. Une sortie comme une bouffée d’air pour ne pas étouffer : je n’ai pas fui, j’ai essayé de survivre. C’était ça ou la mort. Je savais que ce ne serait qu’une parenthèse mais j’espérais qu’elle me donnerait suffisamment de force pour tenir quelques mois de plus jusqu’à mon procès, celui où on continuerait de m’accuser, celui où je ne cesserai pas de clamer en vain mon innocence. Car l’issue en était connue depuis plus de cinq ans : à moins d’un miracle, j’allais être reconnu coupable et passer plusieurs dizaines d’années – peut être le restant de mes jours – dans cet enfer carcéral. J’avais promis de m’y rendre à ce procès, mon procès. A présent, j’ai compris que je n’y arriverai pas. Je ne pourrai pas me résigner à accepter d’entendre le sort que l’on me réservait tout en affrontant le regard de parents et de proches. Je n’honorerai pas ma promesse mais, dans mon cas, ai-je d’autre option que le mensonge ? Cette fois, je ne vais pas prendre une bouffée d’air, je vais m’en priver. Finalement, la peine de mort existe peut-être encore en France. On ne la prononce plus mais on la laisse s’imposer à la décision du condamné. Un bout de solution à la surpopulation carcérale… Je vais déchirer cette feuille de papier. J’avais juste besoin de m’expliquer ma propre décision, pour me comprendre moi-même. C’est chose faite et ces quelques lignes ne seront d’aucune utilité à personne. Elles ne regardent que moi et on n’y trouvera pas la vérité qui fait défaut depuis si longtemps. Celle-là, je l’emporte avec moi. Enfin je crois. Je ne suis même plus sûr que ma vérité soit la vérité, j’ai abandonné la réalité.
Pourquoi écrire une biographie personnelle ?
La Soka Gakkai internationale

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