Les infos avaient tourné en boucle. Des heures et des heures de live, d’articles, de post, de commentaires, d’avis, de jugements, d’images, d’interview, d’experts, de déclarations, d’information, de désinformation, d’analyses et de vide.
Face à l’horreur, à la stupeur, à l’indignation, s’était affiché un semblant de front républicain, pansement de fortune sur nos plaies ouvertes. Il était mort lui aussi, le tueur, présumé mais assumé. Laissant une Nation à son drame, sans personne pour affronter le regard des familles endeuillées. A peine les minutes de silence égrainées, les larmes séchées ou refoulées, pas encore débarrassé ni du corps de la cause, ni de son histoire, la belle unité se fissurait déjà.
En ces temps de campagne, on criait à la récupération, au complot, on exhumait les doutes, on cherchait les failles, on pointait les erreurs, on tirait des conclusions hâtives. Parlant foot on aurait dit « tous sélectionneurs ». Bien que précoces, ou polémiques, certaines questions étaient saines, et les réponses réfléchies. C’était encore le temps des échanges et des débats. C’était avant.
Personne n’aurait pu prédire alors.
Difficile de dire ce qui avait été le déclencheur. Était-ce la vidéo qui circulait, les stigmatisations d’apparence, les tags hommage, les appels à la vengeance, les amalgames blessants ? Dans ce terreau de crise, d’inégalités, de frustration, de peur, d’incompréhension, la haine avait germée. Elle aurait aussi bien pu pourrir,trop arrosée de solidarité et d’écoute, mais elle avait grandi.
Et s’en fut fini.
On commença à citer des « incidents » isolés, puis des « dérives » inquiétantes, et une « tension » généralisée. Les soutiens se firent audibles, les statues furent érigées, les actes s’effacèrent derrière les symboles. Les rejets furent radicalisés, les raccourcis assumés, les communautés désignées. Les positions solidifiées, les camps soudés, les esprits se sont fermés. On était d’un côté, ou de l’autre, et par principe, viscéralement, convaincu de la justification de son point de vue, plus légitime. On détestait ceux d’en face, coupables de tous les maux, sans mesure. Plus de juste milieu, plus de neutralité, plus de distance, plus d’espace.
Les cours d’école, les entreprises, les prisons, les stades, les centres commerciaux, les médias, les forums, les assemblées, les familles, tous les lieux d’expression et de brassage de citoyens et d’idées étaient devenus des terrains d’affrontement. L’aveuglement, l’embrasement. La violence, partout, tout le temps. Dans un dernier sursaut de protection, le repli sécuritaire piétinait nos dernières libertés, avec notre assentiment.